Dans cette séquence nous aborderons les Arts du langageà travers le genre de la chanson engagée sous ses multiples formes.
Notre problématique est : Par quels moyens la musique (et l’image) peuvent-elle mettre en valeur un texte engagé ?
à travers les domaines du Temps et du rythme, et de la forme.
Projet musical : They don’t really care about us(1995) extraite du double album “History” de Michaël Jackson (auteur-compositeur interprète américain né en 1958, mort en 2009).
Le contexte de la chanson : C’est une des chansons les plus controversées de l’artiste, qui fait suite aux accusations de pédophilie portées contre lui en 1993. Le texte dénonce le lynchage médiatique, qui touche à son expérience personnelle, mais aussi de façon plus générale toutes les formes de discrimination, notamment l’injustice, le racisme. Elle fait référence à des icônes de la compassion et de la lutte sociales à travers le Président Roosevelt et Martin Luther King.
La réception par le public fut assez houleuse : d’une part, les mots «Jew me, sue me» furent très mal perçus par la diaspora juive américaine, qui y virent une attaque raciste. D’autre part le premier comme le deuxième clip furent mal perçus par les gouvernements du pays de tournage, l’un montrant des violences policières et militaires, l’autre ne montrant que la misère et les favelas du Brésil. Cependant la chanson eut un impact sur ces sujets pour lesquels il y eut des efforts gouvernementaux pour améliorer les conditions de vie des personnes défavorisées.
Une déclaration de M.Jackson à la suite des attaques dans la presse : “L’idée que ces paroles soient considérées comme offensantes est extrêmement douloureux pour moi, et erroné. La chanson, en fait, fait allusion à la douleur du préjudice et de la haine, et se veut un moyen d’attirer l’attention sur les problèmes sociaux et politiques. Je suis la voix de ceux qui sont accusés et attaqués, la voix de tout un chacun. Je suis le skinhead, je suis le juif, je suis l’homme noir, je suis l’homme blanc. Je ne suis pas celui qui attaque…Je suis en colère et outragé d’avoir été si mal compris».
Le texte se présente comme une sorte de prêche, utilisant le champ lexical de la violence (Frappez-moi, cassez-moi, tuez-moi, etc). Cette violence verbale, lorsqu’on connaît le personnage, fait penser au mouvement culturel Hip-Hop (se défouler par la violence verbale pour mieux contrôler sa violence physique). Le passage incessant de «me»à«us», donne un caractère universel à ses propos, ce qui lui est arrivé pourrait arriver à chacun de nous.
La chanson est composée dans le mode de ré mineur, dans une mesure à 4 temps. Le tempo est assez rapide. Le rythme, extrêmement dynamique, crépite en background tout au long de la chanson, peut être une référence aux tams-tams africains (usage d’un ensemble de Batucada, rythmique héritée des esclaves du Brésil et tambours de guerre).
La mélodie est très simple, basée sur de petits intervalles (secondes, tierces) répétitifs qui laissent toute la place au texte. Par ailleurs elle est accompagnée assez discrètement au synthétiseur et à la guitare (en dehors des solos qui ne dépassent pas l’ambitus de tierce).
L’accompagnement par contre subit des variations dans son arrangement qui relancent l’ambiance malgré la simplicité de la mélodie.
La voix est chantée tout en étant très proche du cri guttural (snarling voice, littéralement voix qui grogne). En outre un choeur accentue les mots situés sur les contretemps (le 2ème mot de chaque vers) et entonne le refrain.
Il y a donc plusieurs plans sonores : le soliste, la 2e voix qui double les contretemps, un bruit de percussions corporelles (claps, frottements, beatbox), un contrechant sur la syllabe « ou » sur le refrain et les ponts, et les solos de guitare électrique qui classent cette chanson dans le style Pop-Rock. Des bruitages brutaux parsèment également la chanson.
A noter qu’au début de l’enregistrement, on entend des enfants (comme souvent chez Jackson) qui chantent le refrain avec des claps sur les contretemps, et une petite voix qui dit «Enough is enough of this garbage!» (En voilà assez de cette pourriture !), qui nous rappellent que des centaines d’enfants interviewés affirmèrent ne jamais avoir vu ou expérimenté de gestes déplacés de la part de l’artiste.
They_don_t_really_care_about_us_MJ ; They_don_t_really_care_about_us_part;
Les clips : Spike Lee tourna un premier clip dans une prison, qui fut censuré en raison des images mettant en cause la violence policière, notamment contre les afro-américains. Michaël Jackson se présente comme un prisonnier, allégorie de la prison plus générale que peut représenter la société. On remarquera que dans ce clip, les prisonniers sont de toutes les couleurs, ainsi que les gardiens.
Voici le premier clip :
Un deuxième clip fut alors préparé, tourné au Brésil, à Dona Marta, dans lequel on peut voir le groupe de percussionnistes Olodum (qui bénéficia grandement de ce tournage dans sa future carrière), dans une des favelas de Rio de Janeiro et à Salvador de Bahia. 1500 policiers et une cinquantaine de résidents assurèrent la sécurité face à l’afflux de curieux). Là encore, le gouvernement brésilien n’apprécia pas que l’on montre uniquement l’aspect miséreux du pays dans le clip, au regard du tourisme et juste avant les Jeux Olympiques de 2004. Le public, lui, trouva que cela mettait en valeur les difficultés du peuple et les manquements du gouvernement. De fait, suite au tournage, le quartier bénéficia d’aides du gouvernement.
Le deuxième clip :
L'instrumental :
Une interprétation chorégraphique assez impressionnante dans une prison aux Philippines.
Avec insertion d’un passage de discours de Martin Luther King et de breaks avec bruitages et beatbox
Nous nous proposons, pour l’interprétation de cette chanson, d’enregistrer séparément tout l’accompagnement (beatbox, claps, contrechant des choeurs, 2e voix sur le couplet sur les contretemps) et de visualiser au fur et à mesure notre progression dans le logiciel Audacity.
Pour nous aider, j’ai trouvé une video intéressante d’un américain (DeStorm) qui réalise toutes les parties et les superpose. Cela permet de détailler (et pourquoi pas d’improviser), et surtout à mon sens, de se motiver !
Ecoutes:
J’ai choisi deux chansons les plus célèbres possibles dans ce domaine, dans la mesure où je voudrais que les élèves puissent trouver par eux-mêmes des chansons engagées pour les présenter en binômes à l’oral.
Première chanson : La chanson de Craonne
Je suis mise d’accord avec mon collègue d’Histoire sur La chanson de Craonne, révélée par Paul Vaillant-Couturier (1892-1937) sous le titre de «Chanson de Lorette » dont le texte est anonyme. Le contexte est la Guerre de 14-18 et plus particulièrement l’offensive de Nivelle au Chemin des Dames en 1917, qui causa la mort de milliers de soldats et déclencha un début de mutinerie parmi ceux-ci, sévèrement réprimé par le gouvernement (une cinquantaine de soldats furent fusillés sur les ordres de Pétain).
J’ai choisi l’interprétation de Marc Ogeret (Album Chansons de révolte et d’espoir, 1974) La chanson fut censurée et il était interdit de la fredonner ou de la chanter sous peine de passer devant la Cour Martiale (tribunal militaire).
Le contraste entre le caractère nostalgique et léger de la mélodie et le texte sombre et révolté s’explique parle fait que la mélodie est un timbre empruntéà une chanson populaire de l’époque : «Bonsoir mamour» de Charles Sablon (1871-1928).
Le texte évoque l’évolution des sentiments des soldats dans cette guerre : le découragement, l’ironie, l’amertume, le sentiment d’injustice (les soldats d'un côté et les riches qui dirigent de loin de l'autre), l’appel à la révolte.
La musique est une sorte de valse de tempo modéré, qui nous renvoie aux bals auxquels les soldats repensent avec nostalgie, lorsqu’ils reviennent de permission. Le mode majeur contribue à une atmosphère douce, feutrée, troublée sur la fin de chaque couplet par un intervalle de tierce mineure qui provoque un effet de gorge nouée (et pour cela, nous l’interprèterons en majeur et en mineur pour bien ressentir la différence).
Un accordéon, instrument populaire accompagne la chanson, il double la mélodie du refrain et joue des contrechants sur le couplet. Une ritournelle s’intercale entre chaque couplet, et dans la coda, il fait entendre une dernière fois la mélodie du refrain en diminuendo.
La chanson est de forme rondo, mais un deuxième texte est associé au refrain après le troisième couplet.
L'interprétation de Marc Ogeret
Une video documentaire pour en savoir plus sur cette bataille.
Un lien à consulter sur le Portail du Chemin des Dames.
Le titre de l'oeuvre(eau-forte) est "Soldat blessé" d'Otto Dix (1916)
Deuxième chanson :
Sunday bloody Sunday, extraite de l’album "War" de U2, groupe de rock irlandais qui a commencé sa carrière en 1976.
A partir du milieu des années 80, le groupe s’est engagé dans la cause des Droits de l’Homme. War est le 3ème album du groupe, sorti en 1983, qui a assis sa notoriété sur la scène internationale. Dans cet album le groupe prend position sur des sujets politiques, notamment dans cette chanson, à propos du conflit Nord-Irlandais.
La chanson est un hommage à l’événement survenu à Derry en 1972, appelé«Bloody Sunday». Ce jour-là, au cours d’une marche organisée par Ivan Cooper, pour réclamer le respect des droits civiques des catholiques en Irlande du Nord, et protester contre la discrimination des pouvoirs locaux contre ceux-ci, 19 manifestants pacifiques furent tués par les tirs de l’armée britannique.
Le groupe avait conscience que la chanson pourrait être mal interprétée, voire leur valoir de sérieux ennuis. Certains auditeurs pensèrent en effet qu’ils glorifiaient cet événement. D’autres accusèrent les membres du groupe d’être des révolutionnaires proches de l’IRA. Toutefois l' album reçut toutefois de bonnes critiques dans la presse.
Le texte, plutôt universel, appelle à la réflexion tout en déplorant la violence. Après la stupeur ressentie par le chanteur en voyant les nouvelles à la télé, le chanteur Bono décrit dans le 2ème couplet la scène de bataille, et exprime sa colère. Le 3e couplet est une critique des medias qui banalisent les scènes de violence.
Au fur et à mesure les paroles s’orientent vers une allusion à la religion (L’évangile selon Matthieu et la première Epître aux Corinthiens). La chanson se termine par «le vrai combat a débuté pour clamer la victoire que Jesus a emportée, un dimanche sanglant». Par cette phrase l’auteur semble appeler les parties respectives à se réconcilier en tant que parti religieux et à cesser la violence.
Au point de vue de la musique, la chanson est écrite dans un Tempo rapide et une mesure à 4 temps. Une introduction à la batterie et les contretemps marqués à la claisse-claire au donnent au rythme l’allure d’un tambour militaire. Le groupe emploie une boîte à rythmes, nouvel instrument en vogue au début des années 80. La guitare joue des arpèges puis un riff sur les accords sib mineur-Réb majeur-solb majeur. Cette progression donne l’impression de quelque chose qui avance inexorablement.
Dans le 2e couplet le violon électrique joue des contrechants, la guitare renforce le riff. Un passage en majeur sur les mots «How long» ainsi que le pont («sèche tes larmes») apportent une note d’espoir.
Après le second couplet un solo de guitare rappelle la musique irlandaise par l’utilisation d’un bourdon réalisé avec les cordes à vide (effet de résonance à la façon de la cornemuse Le refrain est plus détendu que les couplets (sans caisse claire et guitare). Il est chantéà 2 voix en tuilage ou en imitation avec les passages précédents. La basse suit alors un schéma descendant.
Le 3e couplet et le refrain sont superposés. Le violon électrique est présent sur tout le 3e couplet en doublure.
La chanson est de forme rondo (couplets et refrain avec un pont entre le 2e et 3e couplets).
Après les événements de Derry, de nombreux jeunes irlandais rejoignirent l’IRA et l’INLA, dégoûtés que les parachutistes britanniques n’aient pas été inquiétés pour la mort de manifestants pacifiques.
Si cette chanson indémodable est toujours appréciée, c’est probablement parce qu’elle aborde un sujet universel : L’injustice et les violences de la part du pouvoir sur le peuple, la discrimination, les guerres (notamment civiles), les morts inutiles que cela provoque, et les abus fréquents d’images de violence banalisées de la part des medias qui couvrent les conflits.
En 1994, la chanson «Zombie» des Cranberries, autre groupe irlandais, fera allusion au même conflit avec un clip qui contient également à une référence religieuse : «Le Martyre de la Saint-Sébastien».
Une video avec images issues du film du même nom et les paroles :
Une video avec des images de l’événement :
La_chanson_de_Craonne_prof ; La_chanson_de_Craonne_eleve ;
Sunday_bloody_sunday_U2_prof ; Sunday_bloody_sunday_U2_eleve ;
Voici le travail à réaliser en binômes :
Choisir une chanson engagée.
Réaliser une fiche en respectant les parties à renseigner (contexte, analyse du texte, du rapport texte/musique, de la musique, etc).
Voir exemple ici : chanson_engag_e_comparaisons ;
Mémoriser le plan d'analyse.
Présenter la chanson à l’oral (5 minutes).
Prévoir un support audio de 30 sec ou un lien web avec minutage à fournir.
Bon travail!
La fiche de synthèse de la séquence.
Enregistrement des 3èmes A